Un nouveau parfum dans la mémoire ... [PV : Marina]

La journée s’était finalement écoulée. Numa s’était rendue près du bassin à carpes et regardait inlassablement les poissons nager. Ils avaient de très belles couleurs et leurs petites nageoires étaient adorables. Leurs ondulations calmes et harmonieuses étaient apaisantes. La demoiselle soupira, son souffle chaud se transforma en fumée blanchâtre et s’envola doucement vers le ciel grisé par le froid.
Même si son corps se refroidissait, elle ne voulait pas bouger d’ici, comme envouter par le mouvement gracieux des habitants de ce bassin.

*Ne t’endors pas non plus.*

L’intervention de son entité réveilla instantanément la jeune fille. Non pas qu’elle allait vraiment s’endormir, mais elle était trop bien plongée dans ses pensées. Elle en avait même oublié son compagnon omniprésent, pour ainsi dire.
Frustré, ce dernier pesta.

*Je ne vois pas en quoi des poissons peuvent être passionnants.*
*Il y a des choses que les entités ne peuvent comprendre, je présume.*
*Explique moi et je comprendrais.*

Expliquer ? Ce n’était pas évident.
Numa s’approcha du bassin et posa doucement son doigt dans l’eau. Tous les poissons s’enfuir en s’éparpillent dans le bassin, loin du corps inconnu qui venait de pénétrer dans leur territoire.

*Tu vois en chaque être humain quelque chose de beau et fascinant. Moi je vois en général de la noirceur et de la laideur. Cependant, lorsque je regarde les animaux et la nature, c’est cela que je trouve beau et fascinant. Ils ne jugent pas. Ils ne connaissent ni la haine, ni la méchanceté. Même si je ne juge pas mes pairs malgré mon exemple.*

Numa ne retira pas son doigt et regarda une carpe venir à elle, inspectant l’étrangeté qu’il avait en face de lui, avant de s’en retourner à ses activités.
Gõu comprit rapidement ce que voulait dire son hôte, après tout, il avait accès à ses souvenirs et son esprit. Même s’il n’était pas forcement d’accord avec elle, il comprenait et respectait sa vision du monde.
Numa retira son doigt, et de nouveau, tous les poissons s’écartèrent. La demoiselle se releva et leva les yeux vers le ciel. Même gris il était si beau. Le froid ne pouvait pas empêcher la grande rêveuse qu’elle était d’admirer les étoiles la nuit, ni les nuages blanchâtre du jour. Mais en ce temps, la nuit allait rapidement tomber sur Londres.
Après un moment de contemplation, Numa commença à se retirer. Elle mit sa capuche à fourrure,  enfouie ses mains gelées dans ses poches et regarda le sol, une nouvelle fois perdue loin dans ses songes.

Tant et si bien qu’elle n’entendit pas les aboiements adorable d’un chien qui venait à elle. La vue de l’animal arrêta la jeune femme qui regarda le canin lui dire bonjour à sa façon. Elle avait toujours eu du talent avec les animaux, et elle ne savait pas si c’était à cause de son entité ou bien c’était elle qui avait prit de l’expérience avec son job d’étudiante, mais les chiens l’appréciaient encore plus qu’avant.
La française s’accroupit légèrement, sans poser genoux à terre pour que son collant ou sa jupe d’uniforme ne soient pas trempés par l’herbe humide, puis, doucement, elle vint gratter l’arrière des oreilles du chien, observant ses expressions pour savoir s’il appréciaient ou bien qu’elle devait le gratouiller à un autre endroit.

Une odeur à la fois familière et inconnue commença à envahir les narines canines de Numa. Celle-ci releva la tête et une jeune femme vint vers elle. Certainement la propriétaire du chien. Sans uniforme, il était impossible de savoir si cette personne était une lycéenne ou une étudiante, mais il était impossible qu’elle ne soit pas pensionnaire sinon elle n’aurait pas le droit d’emmener un animal dans l’enceinte de l’école. Heureusement pour la française, celle-ci avait une bonne mémoire visuelle et reconnaissait une des filles qui étaient en cours de maitrise magique avec elle. Elle n’avait pas l’air méchante mais Numa gardait son titre de fille solitaire du fond de la classe et n’avait pas adressé un mot à ses camarades de classe, hormis ceux qui lui posaient des questions.

_Bonjour.

*Essaye de dire autre chose que juste « Bonjour », tu te souviens de son prénom en plus !*

Numa se releva avec autant de grâce que son éducation lui a offerte avant d’acquiescer doucement. Elle ajouta simplement à ses salutations une phrase sur son éternel timbre calme et doux à l’accent américain :

_C’est un beau chien.

*Peut mieux faire...*

La journée avait été riche en émotions pour Marina. Si son emploi du temps n'était pourtant pas surchargé le jeudi, son sérieux le rendait dense. Entre sa matinée studieuse, sa rencontre fortuite avec la professeure Hernandez, son cours de chant plus sportif qu'à l'ordinaire et la pratique de ses pouvoirs de plus en plus exigeante, elle n'avait pas su où donner de la tête. Elle était si fatiguée que, contrairement à ses habitudes, elle s'était autorisée une petite sieste à la fin de ses obligations. C'est Tyraël qui l'avait tirée des bras de Morphée, lui rappelant ses responsabilités envers son compagnon à poils.

-Déjà que tu ne l'as pas sorti ce matin, ne l'oublie pas ce soir !
-Oui je sais... soupira -t-elle.

Parfois, son Entité pouvait être envahissante et moralisatrice. Pour compenser, la balade serait certainement plus longue, pour le plus grand bonheur de Wotan qui remuait déjà la queue d'impatience. Son attitude fit rire sa maîtresse, qui s'étira longuement avant de sauter au pied du lit. La petite blonde troqua son uniforme, quelque peu froissé par son sommeil, pour des vêtements plus confortables. Elle enfila donc un jean gris, un col roulé noir qu'elle adorait pour sa douceur et des bottines en cuir foncé. Pour affronter le froid de ce mois de décembre, elle attrapa un manteau blanc et enroula son cou dans une épaisse écharpe entre le rose pâle et le orange. Là seulement, elle sera à l'abri du vent d'hiver sournois.

-Tu exagères à peine, pouffa de rire l'Ange gardien.
-Pas du tout, je ne vois pas de quoi tu parles.

La Française prit un faux air offusqué, qui disparut bien vite au profit d'un large sourire joueur. Dommage que les Entités n'aient pas d'enveloppe physique, elle était persuadée qu'elle s'entendrait bien avec un Tyraël en chair et en os.

Quelques minutes plus tard, le temps de traverser les dortoirs, Marina se retrouvait dans la cour intérieure, les joues giflées par l'air froid. Elle enfonça son visage dans son écharpe jusqu'au nez et laissa filer une longueur de la laisse pour donner plus de liberté à son chien, avant de le suivre gaiement. Wotan s'était bien habitué à la vie et aux espaces de Sundarë, aussi la jeune fille voulait essayer de le détacher, mais cela attendrait d'être plus éloigné des bâtiments. Suivant les mouvements du canidé, elle se retrouva près du gymnase et décida d'enlever la laisse du collier de sa grosse boule de poils. Profitant de l'espace en terre battue qui était en libre accès, elle sortit une balle pour jouer avec lui et en profiter pour lui faire faire de l'exercice.

Le jeu dura une bonne dizaine de minutes avant que, lassé, Wotan s'en aille batifoler seul et, malgré toute la bonne volonté du monde, sa propriétaire ne pouvait pas suivre son rythme de course. Elle regretta immédiatement l'idée de l'avoir lâché et se mit à sa recherche, criant son nom dans chaque recoin du parc. Elle demandait aux quelques personnes dehors si elles n'avaient pas vu son chien mais les réponses étaient soit contradictoires, soit obsolètes. Proche du bassin aux carpes et découragée, Marina s'apprêtait à se poser sur un banc et attendre le retour de l'animal quand elle aperçut une fourrure blanche et noire proche d'une silhouette humaine. Sans gêne comme cela, ça ne pouvait être que son compagnon à quatre pattes. Remise d'aplomb, elle se dirigea vers lui et l'inconnue. Arrivée à leur hauteur, elle fit un sourire contrit à la jeune fille, les joues rougies à cause du froid, de l'effort et de la gêne.

-Je suis désolée, je lui dis toujours de ne pas déranger les inconnus mais il ne m'écoute jamais !

Maintenant que son coeur s'était calmé, elle reprenait lentement possession de sa réflexion et elle reconnut une de ses camarades de classe de maîtrise de pouvoirs. Cependant, sa mémoire des prénoms était mauvaise, surtout quand elle n'avait pas parlé aux gens.

-C’est un beau chien.
-Merci ! Il s'appelle Wotan.

La blondinette s'accroupit et rattacha la laisse au collier de son ami canin, avant de se redresser.

-Désolée, je ne me suis pas présentée ! Marina et toi ?

Elle espérait ne pas effrayer la jeune fille, elle pouvait parfois être un vrai moulin à paroles. Tyraël essaya de la rassurer mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

_Merci ! Il s'appelle Wotan.

La demoiselle avait l’air enjoué. Peut-être appréciait-elle qu’on reconnaisse la beauté de son compagnon à quatre pâtes ? Numa ne savait pas vraiment, elle n’avait jamais eu d’animal de compagnie bien qu’elle prenait soin d’animaux.

La brune profita que son ainée s’accroupisse vers le chien pour l’observer. Elle devait faire à peu près la même taille et la même corpulence. Leurs bottines respectives devaient les séparer de  moins de cinq centimètres. Malgré ses couches de vêtements, Numa pouvait deviner que la blonde était plutôt fine et légère en vu de l’épaisseur de ses jambes. Elle semblait être plus fine que Numa mais la brune semblait avoir légèrement plus de forme. Certainement à cause de sa masse corporelle.

_Désolée, je ne me suis pas présentée ! Marina et toi ?

Presque du tac au tac, la brune répondit :

_Je m’appelle Numa, enchantée.

La demoiselle tendit la main pour que ladite Marina la serre. C’était très formel mais ne connaissant pas les coutumes de chaque personne qu’elle rencontrait, Numa préféra rester conventionnelle. Après tout, elles n’avaient pas élevé les cochons ensemble. Leurs mains couplées profitèrent de leurs chaleurs respectives pour se réchauffer malgré le peu de temps à s’être serrées. C’était bien plus agréable que ne voulait le penser la brune. La voix de Marina était clair et agréable, tout comme son apparence, elle n’en ressortait aucune méchanceté, aucune noirceur, pourtant elle ne semblait pas luire d’un éclat éblouissant de ces gens excentriques entourés de multiples présence autour d’eux. Elle était de ces gens dont Numa ne craignaient pas la chaleur.

_Ne t’inquiète pas pour Wotan, j’aime bien les chiens.

La main de Numa retourna ensuite à sa poche pour la maintenir hors du froid de décembre, bien qu’elle appréciait cette température où elle se sentait respirer.

*Bon aller, je vais t’aider à faire la conversation*

*Je n’ai pas envie de …*

*Chuuuuuut. Tu sais aussi bien que moi que tu as besoin de contact humain, avant le crash d’avion tu avais pratiquement pu engager une conversation sans moi et depuis tu as tout perdu, tu es une sauvageonne sociale, c’est comme ça que tu veux commencer ta vie d’adulte ?!*

Numa n’aimait pas se faire gronder par sa divinité comme une enfant. Mais Gõu, qui avait des siècles et des siècles, avait souvent raison. On disait de Numa qu’elle avait une certaine sagesse, mais elle était bien loin de celle de son entité. Alors, Numa accepta son aide pour converser avec sa camarade de classe. Guidé par Gõu, la demoiselle répéta mots pour mots ce qu’il lui soufflait, mettant bien moins d’entrain que lui dans le ton si calme de sa voix :

_Comme nous sommes dans la même classe de maîtrise magique, j’imagine que tu es une élève S.

*Tu es possédée depuis longtemps ?*

_Tu es possédée depuis longtemps ?