Une petite louve qui ne sait pas hurler [PV : Evangeline]

Trois ans.
Trois ans dans cette même classe. Trois ans sans changement avec les mêmes pouvoirs. Trois ans sans évolution. Mademoiselle Hernandez en avait certainement assez de voir son élève lui montrer les mêmes choses, lui dire la même chose, lui faire comprendre qu’elle était certainement la pire élève qu’elle avait eu depuis des années. Numa venait d’entrer en 3e année Hight School en septembre. Elle avait d’excellentes notes, d’excellentes appréciations. Partout.
Partout ? Non.
Son professeur de maitrise magique ne notait aucune amélioration depuis octobre 2017 lorsqu’elle a découvert ses pouvoirs, c’était vraiment décevant. Mais vraiment aucune amélioration. Zéro. Nada. Niente. Lamentable.
C’était certainement pour cela que mademoiselle Hernandez lui a demandé de rester après son cours du lundi soir. Alors, Numa, gentiment assise sur une chaise, les genoux joints, les mains posées sur ses cuisses, regardait ses camarades sortir un par un en attendant qu’il n’y ait plus personne pour que son professeur puisse lui parler.

*Elle va surement te dire qu’il faut que tu te forces un peu. C’est en maitrisant ses pouvoirs qu’on limite les accidents.*

*Je maitrise très bien ma propre situation.*

*Tu arrives seulement à calmer tes transformations, personne ne trouve que c’est une maitrise, ni toi, ni moi, ni ton professeur.*

Numa regarda ses mains blanches. Ses fins doigts où sa transformation commençait en premier. Gõu avait raison. Ils avaient tous raisons, elle le savait. Elle n’arriverait pas à vivre normalement si elle n’arrivait pas à se maitriser. Mais Numa ne voulait pas apprendre à se transformer, à chaque fois que ses oreilles se transformaient, ses crocs ou sa queue poussaient ça lui faisait des douleurs tellement atroces, comme si on lui retournait les organes. C’était une douleur qu’elle n’aimait pas avoir même si c’était pour s’exercer, c’était surement pour ça qu’elle ne laissait pas son hybridation s’achever même sous la demande de son enseignante. De toute manière elle n’arrivait plus à redevenir normale après une hybridation complète et finissait par s’évanouir, ce qui annule assez efficacement son pouvoir. C’était comme s’enfoncer des coups de couteau soi-même. Même si c’était un ordre, c’était affreux.
Cette pensée donnait presque à la française l’envie de fuir cette pièce. A moins que mademoiselle  Hernandez n’ait trouvé un remède miracle contre les douleurs de transformations.

*On le saura rapidement, il reste juste cet élève qui lui pose des questions et après ça sera ton tour.*

Numa releva les yeux pour confirmer les dires de son entité. En effet, il ne restait qu’un élève qui semblait lui poser des questions sans que Numa ne puisse dire se qui se disait exactement. Elle avait peut-être un odorat surdéveloppé, son ouïe était restée celui d’un humain basique. Bien qu’il semblait plus sensible lorsque ses oreilles étaient ceux d’un loup.

*On dirait que tu me dis que je vais à la guillotine.*

Gõu eut un léger rire. Il ne laisserait jamais personne toucher son hôte même si pour cela il devait lui faire une possession totale afin de mordre. Une chose que Numa ne semblait pas être en mesure de faire, même pour sa propre survie.

Le dernier élève finit par partir. Alors, doucement, Numa se leva de son assise, tira sur le bord de son blazer d’hiver pour y retirer tout les plis avant de s’avancer doucement vers son professeur. La marche de Numa était calme tout comme le reste du personnage, elle parlait toujours très calmement et avec la douceur d’un lagon en plein été. Tout était si tranquille chez elle que ça en apaisait beaucoup et en énervait certain.
Devant son professeur, Numa leva son seul œil visible qui alla se perdre dans ceux de l’adulte et elle lui demanda de sa voix toujours calme et douce :

_Vous vouliez me parler, professeur ?

HRP:

_Vous vouliez me parler, professeur ?

_Hm, c'est exact !

L’enseignante désigna une place assise, bien plus confortable que le siège où était la jeune française tantôt. La dame avait réussis à rendre un bunker froid et totalement fermé en une sorte de petit cocooning très agréable.

Mademoiselle Hernandez a toujours été si gentille, comparé à certain professeur, et ses joutes verbales avec la CPE l’ont rendu encore plus appréciée dans le cœur de ses élèves et même des élèves classiques. Numa lui trouvait de la sympathie, même si les traits de son visage et les commissures de ses lèvres ne le reflétaient pas.

_Assieds-toi !

Numa, sans mots ni expressions, alla s’asseoir à la place désignée. Elle jognit ses genoux, le dos droit, les fesses au bord de l’assise et les mains joliment posées l’une sur l’autre au centre de ses cuisses couverte par un collant dû au froid de l’hiver.
Son air de poupée figé était d’avantage mis en valeur par la rigidité de son corps. Elle était un peu mal à l’aise, n’aimant pas se retrouver en tête à tête avec un professeur, comme si elle avait fait quelque chose de mal, mais Mademoiselle Hernandez semblait si décontractée que cette entrevue était moins pénible et plus détendue que le présageait l’élève.

*Peut-être que tu te sentirais mieux si tu l’imitais ?*

Numa ne savait pas si elle avait assez de souplesse malgré la finesse de ses cuisses pour croiser aussi élégamment ses jambes que son ainée et préféra ne pas tenter l’expérience.

_Donc, je voulais te voir en effet, j'aimerais qu'on parle de ta progression toutes les deux. Tu pourrais me dire comment tu te sens, vis à vis de ton entité et de tes pouvoirs ?

Numa hésita un instant à répondre, son regard allant se perdre sur un cheveu ébène de son professeur qui avait décidé de quitter sa frange pour trouver refuge sur l’arrête de son nez. La peau blanche de Mademoiselle Hernandez contrastait fortement avec ses cheveux plus noirs que les siens et Numa pouvait donc observer chaque cheveu couronnant cette tête.

*C’est l’occasion de lui dire à quel point je suis merveilleux, je t’en prie, ne te prive pas.*

Gõu était seulement à moitié ironique. Même si Numa devait avouer qu’il était, en effet, très agréable à vivre. Peut-être la meilleure entité qu’elle puisse espérer même s’il l’a tout de même incité à faire de mur avec un groupe d’élève à Halloween en 2017. Heureusement, elle en gardait tout de même de bons souvenirs mais une petite frayeur dans ce manoir abandonné.
Le regard à moitié caché de Numa glissa doucement vers les yeux d’un joli bleu pâle comme une topaze bleutée joliment polie de son professeur.

_Mon entité est bienveillante envers moi. Notre cohabitation se passe bien. Mais mes pouvoirs c’est autre chose.

La demoiselle s’arrêta de parler et respira doucement. Elle n’arrivait jamais à faire de trop longues phrases, ni même en faire plus de trois d’affilées, devant reprendre un souffle imaginaire, une salive pourtant là. Tout était dans la tête. C’était également pour ça qu’elle préférait les questions où elle pouvait seulement répondre « oui » ou « non ».

_Je n’arrive pas à développer mon odorat et je n’ai pas envie de me transformer, cela est vraiment trop douloureux. C’est comme …

Numa, déjà droite, semblait se redresser encore un peu en levant les mains vers son ventre pour imager ses dires. Elle entrelaça ses doigts et les sépara progressivement.

_Lorsque mes crocs poussent ça ne me fait pas trop mal c’est juste dérangeant mais lorsque mes oreilles se transforment je commence à avoir mal à ce niveau là. Puis ça se disperse et devient plus intense dans tout le corps, au point où je n’arrive pas à tenir debout. Et au point à avoir tellement mal que je perds connaissance.

La française reposa ses mains sur ses cuisses après avoir illustré avec ses gestes la progression de sa douleur dans tout son corps. On pourrait croire que son mal commençait au niveau de sa tête puisqu’il s’agissait de ses oreilles, mais cela semblait bien plus complexe que ça.

_J’ai beaucoup de mal à retourner à mon état initiale et cela m’épuise énormément je ne m’entraine pas, même si c’est dans un endroit tranquille comme le dortoir des S. Quand à mon autre pouvoir, j’arrive à reconnaitre les autres grâce à leur odeur à quelques mètres de moi, je suis consciente que je peux faire plus mais je ne sais pas comment.